Elegy || Pv : Natarissa

La neige. Le froid. La clarté défaillante. Bienvenue dans le District 6. Judicaël y avait été envoyé en tant « qu’éclaireur haut-gradé » pour un ordre de mission qui lui avait, avouons-le, un petit peu échappé. Il fallait dire que cela faisait tellement de temps qu’il n’avait pas pu voir de la neige en « vrai » qu’il avait complétement arrêté de suivre les recommandations de ses supérieurs par la suite, trop plongé dans ses pensées pour faire quoi que ce soit d’autres de constructif dans le cadre de son travail. Il n’était pas seul, heureusement pour lui. Mais n’allait-il pas exaspéré plus qu’il ne le fallait le peu de personnes qui avaient été plus ou moins désignées pour l’escorter dans cette tâche ? Ça, rien n’était moins sûr.

A le voir ainsi, sans même son uniforme militaire sur le dos – il avait préféré des vêtements plus amples, type civil, dans lesquels il pourrait bouger à son aise sans la moindre contrainte – il donnait l’impression d’être un gamin la veille de Noël. L’albinos n’avait même pas attendu que le véhicule les ayant transporté jusqu’à ce district s’arrête correctement, il avait presque sauté en vol, retenu de justesse par son écharpe qui s’était accroché quelques part à l’intérieur de l’engin. Un grand sourire aux lèvres, nul n’aurait pu croire que ce jeune homme faisait partie intégrante de la grande armée qui terrorisait bon nombre d’âmes en ce bas-monde. Pour ne rien arranger, il avait les cheveux blancs, une peau tout aussi cadavérique et de grands yeux d’un bleu certes exquis, mais dont les rétines étaient fendues à la manière des serpents. Et ce point de détail, qui faisait de lui un Warsfeil né – bien qu’il l’ignore encore lui-même – effrayait tout autant que le reste des chefs d’accusations cités un peu plus haut.

Il souffrait de ce rejet, mais n’en montrait rien. Mieux valait sourire à la vie et un jour, elle finirait par lui sourire en retour. Quelle belle utopie que voici. On ne croise que peu de personne comme lui de nos jours. Surtout dans l’armée, ou l’on est, théoriquement, bercé par les préceptes de pragmatismes interdisant tout rêves et autres fioritures inutiles qui pourraient à plus ou moins grande échelle, faire foirer une mission, quelle qu’elle soit. Mais on ne peut lutter longtemps contre sa propre nature, la preuve avec le Montugën qui, les bras battants l’air, se sentait étrangement bien, là, tout de suite. Cette sensation de liberté pourtant trop rare, il lui courrait après en permanence, perdant bien souvent son temps. Alors, c’était décidé, pour le peu de temps qu’il passerait ici, il en profiterait au maximum.

Finalement, se laissant choir dans la neige fraiche, qui lui procura de doux frisson, il soupirât, laissant s’élever au-dessus de lui une fine colonne de vapeur, tout droit sortie de ses poumons en feu à cause de la différence de température. Il se sentait si serein. D’ailleurs, reprenant le ballet de ses bras en allant de haut et bas, faisant bientôt de même avec ses jambes, il se laissait aller à rire d’une manière sincère et cristalline en faisant un ange avec ses propres membres. D’ici peu, cette petite trace de son passage disparaitrait sous une couche de neige neuve, mais il n’en avait cure. Seul l’instant présent comptait à ses yeux. Plus que tout.

Où, c’était amusant de redevenir un gamin, le temps d’une petite minute, sous cette neige qui lui tombait dessus. Mais. Il y avait quelque chose qui n’allait pas. Oh, ce n’était pas de savoir ce qu’il en était de sa mission, ça, il avait le temps de s’en soucier. Toutefois, s’amuser seul, au bout d’un moment, c’était bien trop lourd à supporter. Il avait besoin de compagnie avant de reprendre définitivement son sérieux pour le reste de la fameuse mission pour laquelle on l’avait envoyé ici. Ses deux grands yeux bleus s’ouvrirent sur le ciel cotonneux d’où la neige ne cessait de tomber, toujours aussi calmement. Il n’y avait bien que son enthousiasme pour rompre le cours de la plénitude ici présente.
Il eut soudain une idée de génie. Enfin, ça lui paraissait en être une, de son point de vue. Natarissa. Un simple nom pour certain, tout un chapitre de sa vie, pour lui. Et pourtant, d’aussi loin qu’il se souvienne, il ne l’avait encore jamais vue rire aux éclats. Et il était curieux de savoir quel effet cela pouvait donner. Toujours investit de sa logique bien particulière, le Warsfeil né se releva d’une traite, laissant un superbe ange dessiné par son passage dans l’épaisse couche de neige, très poudreuse.

Puis, il se dirigeât a pas lent vers sa Beitleger et la prit par la main, avant même qu’elle ne puisse répondre quoi que ce soit. Il lui sourit et ajoutât, de sa voix claire, contrastant bien avec les capacités de tueur dont il disposait de naissance ;

« Viens Nat’ ! Allons jouer ensemble, rien que tous les deux, dans cette belle neige ! »

Il laissât la phrase en suspens avant de trouver bon d’ajouter ;

« Moi j’adore la neige, et toi ? » dit-il avec un sourire magnifique.

Il tenait beaucoup à cette jeune fille, surtout depuis qu’elle était devenue sa seconde. Quant au surnom qu’il venait de lui attribuer sans la consulter au préalable, il espérait qu’il lui plairait car en tout cas, lui le trouvait très mignon, au moins autant qu’elle. Et toute manière, inutile de tergiverser, si ça ne lui plaisait pas, il serait bientôt mis au courant et son crâne écoperait alors, probablement d’une bonne bosse bien sentie, qu’il aurait mérité, bien entendu.

Le Montugën est de ces gens qui veulent avant tout le bonheur de ceux qui les entoure avant le leur. Il savait que la vit de la Vondem n’avait pas été des plus roses, aussi, il voulait qu’elle oublie un peu son passé pour vivre franchement, même si ce n’était que pour cinq minutes. Il pouvait comprendre sa peine, sans doute bien mieux que quiconque. Parce qu’il est empathique et doué d’un sens de l’humain rare parmi les rangs de l’armée. Même si ça ne suffira pas à le sauver des flammes de l’Enfer lorsqu’il viendra à s’éteindre, bien entendu. Mais ceci est une toute autre histoire.